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Le carnet à spirales

28 février 2005

Page de garde

Eric tourna très doucement la poignée oblongue de la porte située sous l'escalier. Le long grincement des charnières sembla envahir toute la maison. Un clic sur l'interrupteur sur situé la droite donna au couloir sombre menant à la cave une couleur orange insipide. Les murs poussiéreux n'avaient visiblement pas été nettoyés depuis plusieurs mois. Il descendit très méticuleusement les marches en brique trop courtes pour ses pieds de basketteur, tout en prenant garde à ne pas se cogner la tête au plafond. Cette position courbée donnait au grand échalas des faux airs de comploteur.

Arrivé au bout de la descente, Eric parcourut machinalement du regard l'intégralité de la pièce. Sur le mur situé à sa droite se trouvait un stock impressionnant de canettes de sodas et de bières diverses et variées. Depuis qu'il s’était installé dans la métropole lilloise, Eric avait pris l'habitude de se faire livrer ses boissons par grande quantité. Son objectif était plus d'économiser son temps et son énergie que d’obtenir des prix réellement intéressants. Le mur blanc d’en face était sale et nu à l'image des parois de l’escalier. A sa base, traînaient ça et là quelques vieux morceaux humides de journaux gratuits d’annonces. Enfin, à gauche, contre le mur côté soupirail, une planche en contreplaqué reposait sur deux tréteaux en bois. Devant ce bureau, une vieille chaise d'écolier usée par le temps semblait inviter ce visiteur d'un soir à venir s'installer.

La nuit était tombée depuis longtemps, et Eric pouvait à peine distinguer la vieille lampe de bureau noire accrochée à la planche par un petit système d’étau. L’éclairage de l'escalier était juste suffisant pour faire deviner les contours du sinistre squelette métallique. Eric s'approcha de la table et chercha délicatement l'interrupteur, bien caché derrière le sommet du crâne froid de l’objet. Le jet de lumière embrasa le petit bureau de fortune qui devenait en un instant le centre d'attraction de la pièce. Le temps sembla s'être arrêté d'un seul coup.

Le grand blond posa doucement sur le bureau un cahier un spirales de couverture bleue et un stylo bille noir à enveloppe transparente dont le capuchon manquait à l'appel. Avant de poser sa grande carcasse sur la chaise à la solidité incertaine, il alla se servir une canette de Coca-Cola dans sa réserve. Il ouvrit l'opercule et posa la boîte à la droite de son matériel d'écriture. Après s'être assis - non sans marquer une certaine prudence – il ouvrit la première page du son cahier. L’odeur des pages neuves, mélangée à celle du bois lui chatouilla les narines. Il ne se sentit plus dans sa cave, mais s’imagina un instant de retour à l'école primaire. Plusieurs images lui étaient revenues : la cour de récréation bétonnée, les parties de billes acharnées, l'odeur de la craie sur le tableau, ou encore les parties de « Chat Perché » génératrices de rires et de pleurs. Tout cela lui arracha presque un sourire.

Après avoir avalé une gorgée de soda, il se mit à coucher des mots sur les petits carreaux du cahier. Il marquait de longs temps de pause entre chaque phrase. Ces nombreux temps d’arrêt lui permirent d'éviter de trop vilaines ratures. Arrivé au point final de sa première prose, il posa son stylo et manifesta son contentement par un bâillement sonore en s’étirant, les bras en forme de V. Puis, il se leva, éteignit la lampe et refit le chemin inverse pour remonter au rez-de-chaussée de sa maison.

Lille, le 23 février

Pas tout à fait un journal intime… Ni un recueil d'histoires inventées… Ce cahier portera la trace de mes premiers travaux d’écriture : des personnages sortis de mon imagination, imprégnés de ma réalité, de mes expériences. Je laisserai ces personnages vivre, s’exprimer et m'emmener sur les chemins de traverse. Entre eux et moi, qui sera vraiment le guide ?

En écrivant ces mots, j'ouvre un passage secret vers des mondes nouveaux. Voilà un formidable espace de création qui s’offre à moi. J'ai une  envie folle de relever ce défi. Il est peu probable que je devienne un vrai écrivain un jour. Mais le plaisir de l'écriture – que j’ai découvert récemment – me suffit largement. A moi d'approfondir, puis de connaître puis repousser mes propres limites littéraires.

Un cahier à spirales en guise de cartes, un stylo à bille pour boussole, me voilà équipé pour une belle aventure.

A suivre…

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Le carnet à spirales
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